Il est exactement 08:49 du matin, fuseau CEST, lorsque mon pied gauche frappe le sommet des 4810mètres du Mont-Blanc.
J’ai quitté le campement 1650m plus bas il y a maintenant 5h, me donnant ainsi un rythme d’à peu près 330m de dénivelé à l’heure. “Ce qui est bien, mais pas top” comme disent les jeunes trentenaires.
J’aimerais pouvoir sourire, mais les 70km/h de vent passent leur temps à me catapulter de petits grumeaux de neige dans la figure. À la place je décide de mettre genou à terre et j’admire les multiples vallées qui m’entourent, à moitié couvertes par les nuages, contemplant ainsi ce que je viens de réaliser.
Il y a à peine 6 mois, 177 jours pour être exact, je quittais mon domicile avec un objectif simple en tête : grimper seul et sans assistance le point culminant de chaque pays Européen, tout en ramassant les déchets trouvés sur leurs pentes afin de sensibiliser les gens à la pollution en montagne.
Le Mont-Blanc représentait le dernier de ces 48 sommets.
Sommet du Mont-Blanc
Bien qu’ayant grandi dans différents endroits et différents pays, ayant besoin de changer de maison une année sur quatre, les montagnes ont toujours été là pour moi, hiver comme été. Pour le ski comme pour la randonnée, pour l’escalade comme pour le parapente. Et j’ai toujours été abasourdi par l’attitude qu’une poignée de gens pouvait avoir vis-à-vis du plaisir des autres et de la beauté des lieux, en jetant nonchalamment leurs détritus par terre.
Cela reste aujourd’hui encore et toujours une question existentielle : comment une personne peut-elle prétendre aimer la nature et la traiter comme une poubelle? Si de telles personnes dédaignent se rendre compte de l’impact environnemental d’un geste aussi basique, quelles autres actions prennent-ils par la suite?
De tout les gestes qui peuvent être fait pour la planète, ne pas jeter son papier par terre est le plus simple.
C’est donc tout naturellement que m’est venue cette idée de grimper le point culminant de chaque pays Européen tout en les nettoyant de leur déchets.
“Une super façon de montrer que l’on peut atteindre des sommets sans pour autant laisser de poubelles derrière » me suis-je dis « peut importe la taille de la montagne, le nombre de jours que cela prend, ou les conditions météo ». « Si un être aussi fébrile que le mien peut ramasser les poubelles des autres tout en gravissant des cimes, alors n’importe qui peut le faire ».
Un Périple
Seul sur un glacier Islandais
Je dois l’avouer, ce fut un sacré périple. Une aventure à la hauteur de mes espérances. Un rêve qui se réalise. Un objectif qui s’atteint. Et puis de nombreuses batailles physique et mentale contre la solitude, contre le froid, contre le mal des montagnes, contre l’isolement, contre le délaissement, contre la réclusion, contre l’abandonnement, contre la séduction de ces thébaïde enneigés.
- Devoir gravir les sommets d’Europe de l’Est en style hivernal (et laissez moi vous dire quelque chose : la Bosnie-Herzegovine n’est pas le genre d’endroit où vous voulez être pris dans une avalanche).
- Me surpasser pour parcourir en un seul jour les 58km et les 1400m de dénivelé enneigés qu’offre le Kebnekaise en Suède.
- Gravir l’Elbrouz directement depuis Azau en une seule journée et arpenter 3300m de dénivelé sans s’arrêter.
- Ne pouvoir compter que sur moi-même pour traverser les glaciers peuplés de crevasses en Suisse ou en Islande.
- Escalader le Gerlach et le Grossglockner sans corde ni assurance.
- Se faire prendre dans des blizzards, se battre contre le mauvais temps permanent, faire demi-tour à cause de vents à 100km/h, faire demi-tour à cause des avalanches, faire demi-tour à cause de la fatigue, et pourtant ne jamais hésiter à revenir plus tard pour retenter le sommet.
Tout cela en solitaire, sans aucune assistance, sans aucune aide. Tout cela en ramassant les poubelles des autres.
Saturé Par Les Déchets
Des poubelles partout, même dans les lieux les plus isolés
Cinquante pays pour quarante-huit sommets, voilà comment l’on pourrait définir l’Europe géographique (L’Albanie et la Macédoine partagent le même sommet pendant que les Italiens affirment que le Mont-Blanc leur appartient également). Et sur 48 points culminants vous avez forcément une grande nuance dans tons dans les sommets qui s’offrent à vous. Plats et faciles pour l’Estonie, la Lettonie ou la Lituanie. De simple randonnées pour les quatre pays du Royaume-Uni. De l’Alpinisme pur pour la Suisse, la Russie ou la France.
Tous avaient pourtant un thème en commun : avoir beaucoup trop de déchets sur leurs pentes respectives.
Le grand classique que sont les emballages plastiques, mais aussi les canettes de bière (vides), les bouteilles en plastique, les cartouches de gaz, les sachets de gel isotoniques, … certains laissé bien en évidence sur les sentiers, d’autres prudemment cachés sous des cailloux comme pour admettre que “Je sais que ce que je fais est mal, mais je suis bien trop fébrile pour redescendre mes propres poubelles”.
Quelques objets curieux, comme la chaussette (juste une, pas la paire), les tampons, les semelles de chaussures – ou mieux encore : la chaussure (à nouveau, juste une, pas la paire. Comment leur gens arrivent-ils par le suite à redescendre les pentes!?).
Et puis sans surprise, le pire de tous, qui peut se trouver par centaine sur une seule pente : le mégot de cigarette.
Il est petit, il ne pèse rien, mais juste un seul de ces petits malotrus peut polluer jusqu’à 500L d’eau!
Cette chaussette seule, cette chaussure solitaire, et puis beaucoup de plastique
Atteindre Un Sommet Tout En Polluant Annule l’Ascension
Voir le gouvernement Français devoir prendre des mesures drastiques et instaurer des règles d’ascension pour empêcher le Mont-Blanc d’être détruit m’attriste. Je considère que les montagnes appartiennent à tous le monde… tant que vous la traitez avec respect. Mais en voyant la quantité de déchets retrouvés sur les pentes de l’Elbrouz, comment les « alpinistes » peuvent tout simplement louer des motoneiges pour faciliter leur ascension, il est devenu évident que nous sommes incapable de nous contrôler. Le désir de pouvoir dire « j’ai atteint le sommet » est trop fort.
Alors voilà un mot pour tous ceux qui cherchent désespérément à atteindre le point culminant d’une montagne : peut importe la douleur, peut importe la météo, peut importe la fatigue, des sommets moi aussi j’en ai fait, non seulement en portant mes propres poubelles mais en redescendant les votre en même temps.
À vous de jouer.
(Le 17 Aout 2019, à 08:49am CEST, Beija (@Beijadventures) est devenu la première personne à gravir en solitaire le point culminant de chaque pays Européen.
Ce périple fut réaliser entièrement seul, sans assistante, en style alpin, sans sponsors et sans soutien logistique, et en un temps record de 177 jours)
FAQ
Questions venant de la Communauté Reddit
Pourquoi? Qu’est-ce qui t’as poussé à t’engager dans cette aventure?
C’est difficile à dire. Je voulais trouver une activité qui me permettrais de cumuler 3 choses qui sont importantes pour moi : les montagnes, l’environnement, et les voyages. Je suis vraiment passionné par l’aventure de manière générale. J’ai traversé l’Islande en solitaire sans assistance du Sud au Nord pendant 14 jours. J’ai fait un trekk de 200km en solitaire en Mongolie. J’ai parcours la Nouvelle-Zélande à vélo sur 1600km.
Comme indiqué à plusieurs reprises je suis aussi très sensible au sujet de l’environnement, je voulais donc que cela est une part principale dans mon périple.
Bien que je sois Français je ne connaissais pas l’Europe mieux que cela, and l’idée m’est donc venue naturellement : je vais atteindre le point culminant de chaque pays Européen afin de sensibiliser les gens à la pollution en montagne.
Ce n’est qu’à la fin de cette aventure que j’ai pris conscience qu’aucune autre personne n’avait fait cela en solitaire et que j’étais donc entrain de battre un record.
Quelle difficulté cela représente-t-il?
La difficulté générale est basé sur la condition physique et l’expérience personnelle. Pour moi j’ai trouvé cela plus facile qu’anticipé.
Il y a aura toujours beaucoup de gens qui seront là pour vous convaincre de ne rien faire car cela est trop difficile. J’ai arrêté d’écouter ces gens, ils ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent.
T’es tu blessé gravement?
Je me suis abimé le pied gauche le troisième mois, en plein milieu de mon périple. Je ne voulais toutefois par ralentir mon rythme, j’ai donc mis la douleur de côté pendant les trois derniers mois.
Maintenant que j’ai fini, j’essaye de savoir exactement ce que j’ai. Tout ce que je sais de mon côté c’est que la douleur était insuportable à la descente lorsque j’avais mes chaussures d’alpinisme au pied. Cela m’a tout simplement forcé à laisser ma jambe gauche pour mort et à la trainer tout en utilisant mes batons et ma jambe droite pour descendre les pentes.
Il y a-t-il eu un moment où tu as voulu tout abandonné?
Non. Je pense que c’est justement mon point fort : un mental d’acier inoxydable recouvert d’une couche de Titanium. Je ne suis pas une personne physiquement impressionnante, and en me regardant personne ne s’attendrait à ce que je puisse gravir des sommets. Mais sapristi je ne m’avoue jamais vaincu!!
Certes, à de nombreuses reprises j’ai fait demi-tour car j’ai pris conscience que les conditions se dégradaient (être fou ne veut pas dire stupide), mais je suis toujours revenu par la suite pour retenter mon ascension. Il vaut mieux avoir un bon mental pour se dire « tu te souviens de cette montagne où tu as du faire demi-tour à 150m du sommet après avoir bataillé 6h dans la neige? Et bien tu vas devoir tout refaire à nouveau aujourd’hui et cette fois-ci cela va marcher »
C’est exactement ce qui m’est arrivé en Russie. Après 10h de marche dans 100km/h de vent et 2700m de dénivelé j’ai fait demi-tour. Épuisé, le pied gauche incapable de toucher le sol, je me suis dit « je n’arriverais pas à trouver la force mentale ou physique pour réessayer ».
Moins de 36h après, le pied toujours en vrac, j’étais de retour sur les pentes.
Quelle était la beauté des paysages?
Époustouflante.
Chaque sommet avait son propre style and un paysage unique à offrir (malgré le mauvais temps constant et les masses nuageuses qui m’ont suivi).
Depuis l’incroyable désert blanc de l’Islande, aux sommets enneigés des Balkans, aux pics des Alpes qui vous déchire le ciel, chaque sommet fut inconditionnellement incomparable.
